Traditions et perspectives théologiques
   
 
 
 


 
Points de vue

VERS LE CHRISTIANISME DE DEMAIN


Une fructueuse mise en commun


La célébration du jubilé de l'Église Protestante Malgache en France (FPMA) et du 25ème anniversaire de la paroisse malgache de Mulhouse, le 31 janvier à la Fraternité, a non seulement constitué une chaleureuse rencontre interculturelle, mais a ouvert des horizons nouveaux aux personnes qui y ont participé. Plutôt que de s'en tenir à une commémoration focalisée sur le passé et interne à une communauté ethnique, l'Église malgache s'est résolument inscrite dans le contexte religieux et social actuel pour se tourner vers l'avenir. De leur côté, interpellés sur leur vocation à accueillir les croyants qui viennent d'ailleurs, les Européens présents se sont montrés solidaires d'un christianisme en recherche dépassant l'horizon paroissial coutumier. Un petit pas effectué en commun dans la bonne direction.

La table ronde qui a ouvert la journée s'est donné pour objectif de montrer quels sont les défis que les Églises doivent relever pour témoigner de façon fidèle et crédible de l'évangile dans l'environnement contemporain. Avec discernement et audace, les pasteurs Jean Ravalitera et Philippe Aubert, respectivement président synodal de la FPMA et président du consistoire réformé de Mulhouse, ont analysé les hypothèques qui pèsent sur les Églises à l'heure présente et ont planté de précieux jalons pour imaginer le christianisme de demain. Face à la routine d'une gestion plus ou moins sociologique de l'héritage religieux, ils ont insisté sur la nécessité de retrouver la force originelle de l'évangile et de s'engager sans réserve au service du monde. Une quête et des tâches qui exigent conjointement piété, intelligence et générosité.


Un état des lieux

De nombreux lieux de culte sont à vendre en France, la pratique religieuse s'effondre, les autorités ecclésiastiques sont contestées. Comme les autres institutions, les Églises souffrent de l'effritement des valeurs et de la rupture des liens qui ont assuré la cohésion sociale jusqu'à récemment, cependant que les creusets du devenir commun se désintègrent – à commencer par la famille. Exalté par le système marchand, le consommateur est proclamé roi et la société est menée par la publicité qui ne vise que des satisfactions immédiates. La science et la technologie concourent à cette évolution portée par la démocratisation, l'urbanisation, et l'ensemble des déterminations économiques. L'espérance d'un avenir meilleur pour tous a laissé la place à des stratégies de survie ou d'ascension sociale individuelles, en sorte que la religion finit à son tour par être perçue à travers le prisme des seuls intérêts de chacun, la solidarité ecclésiale étant congédiée.

Un bouleversement profond et global. Les vérités véhiculées par les Églises sont bousculées par l'émergence d'un monde laïque qui se veut indépendant de la religion. Le développement des connaissances relativise les savoirs traditionnels, et la société promeut des valeurs et met en œuvre des pratiques qui contreviennent à la morale classique. Même parmi les fidèles, la Tradition et les Écritures n'ont plus l'autorité littérale et irrécusable qui leur était attribuée autrefois. De fait, le monde s'est sécularisé tandis que les Églises restent, en dépit de leurs déclarations d'intention, prisonnières de leur univers ancien, intangible à leurs yeux parce que sacré, et volontiers sacralisé pour maintenir son intangibilité. Il s'ensuit qu'elles se trouvent marginalisées, cantonnées dans la sphère privée ou dans les fonctions cérémonielles et de représentation. Pour se libérer de cet enfermement, certains théologiens préconisent un christianisme non religieux, dégagé des structures ecclésiastiques.

Pour une Église selon l'évangile (1)

Les institutions ecclésiales sont-elles immuables, ou faut-il imaginer de nouvelles formes de présence et d'engagement aptes à mieux témoigner de l'évangile aujourd'hui ? Sans doute convient-il, pour commencer, de s'interroger sur la pertinence du modèle d'Église qui, théorisé par St Augustin au début du Vème siècle dans « La cité de Dieu », prévaut encore de nos jours. Matrice de la puissance et de la gloire du christianisme qui a façonné l'histoire de l'Occident, ce modèle préconise une Église triomphaliste qui ramène à elle toutes les réalités humaines, un projet qui a été brillamment illustré par le foisonnement des cathédrales au Moyen-Âge et qui a été propagé partout par les missions depuis lors. Mais ne faut-il pas plutôt, aujourd'hui, une Église humblement au service du monde, dans le respect de l'autonomie de celui-ci ? La conception passéiste de la paroisse est-elle encore pertinente ? Le christianisme ne peut entrer en dialogue avec nos contemporains qu'en respectant leurs repères et leurs valeurs, en reconnaissant leur humanité indépendamment de toute appartenance religieuse, l'Église se dissolvant en quelque sorte dans le monde profane.

Quels sont les critères de la majorité spirituelle des croyants et de leurs communautés, et quelles sont les responsabilités sociales qu'implique une telle majorité ? Le religieux mène au meilleur et au pire. Souvent grimé d'un visage inhumain, le Dieu présenté aux hommes à travers les idées et les pratiques de la chrétienté a été largement utilisé pour justifier le contrôle social exercé par les Églises et leurs alliés politiques. Il s'en est suivi, au profit d'un cléricalisme funeste, une infantilisation des fidèles entretenue par une religiosité privilégiant les émotions au détriment d'une adhésion responsable au message de la foi. Aujourd'hui, une religiosité délirante éclipse la théologie : Jésus est partout, jusqu'à déloger la pensée, la liberté et la responsabilité humaines ! Mais satisfaire le besoin infantile de sécurité et de confort en proposant un Dieu tout-puissant qui s'occupe de tout maintient l'homme dans la dépendance et l'empêche de grandir. Le fondamentalisme ne propose de refuge que dans de fausses certitudes. Le temps n'est-il pas venu de se rappeler que Dieu est au-dessus de la religion, et que l'évangile rend le croyant adulte et libre, participant de diverses façons au sacerdoce universel des chrétiens ? Penser l'accueil des Écritures et les modalités de la vie chrétienne est plus évangélique que de s'époumoner à chanter alléluia.

Est-il possible de passer d'une conception exclusivement mystico-religieuse du « Corps du Christ » à une vision qui soit intelligible dans l'environnement sécularisé contemporain ? Le monde s'étant défini dans le giron de l'Église jusqu'au XVIIIème siècle, les problèmes profanes étaient alors absorbés par la sphère religieuse sans conflits majeurs. La morale et l'ensemble des activités sociales se trouvaient placés sous l'autorité ecclésiastique. La culture était chrétienne – peinture, musique, et littérature entre autres –, et la civilisation s'arrêtait aux frontières de la chrétienté. Il n'en est plus ainsi : le monde s'est émancipé, s'est élargi aux civilisations autrefois méconnues, conteste les modèles anciens et en produit de nouveaux, et l'héritage religieux apparaît obsolète. Même l'amour et le mariage sont vus autrement. Prise de nostalgie et privée de son ancrage traditionnel, la religion est désemparée et tend à dériver vers des formes charismatiques douteuses et vers le fondamentalisme. Mais ne revient-il pas aux institutions d'incarner la fidélité à ce qui forme le noyau de l'évangile tout en respectant la laïcité et les conquêtes récentes de l'humanité ? N'ont-elles pas à prêcher le Christ sans compromis tout en prenant en compte la modernité ? Sécularisation ne signifie pas fin du religieux, et le crucifié du Golgotha peut encore libérer les hommes des angoisses qu'engendre la trompeuse religion actuelle du plaisir et du confort.

Ne faut-il pas désormais penser et construire l'unité dans l'optique d'une communion plurielle mondialisée, rassemblant les hommes par delà leurs frontières traditionnelles ? Ignorer les différences confessionnelles pour promouvoir un consensus informe et mou au nom d'un œcuménisme superficiel ne mène à rien. Le cheminement vers l'unité est respectueux des confessions particulières en même temps que des valeurs qui les transcendent. Pour ce qui est de la mondialisation, il est bon de rappeler qu'elle a sa source dans les Écritures et manifeste la justesse du christianisme. En désacralisant la nature, la Bible a ouvert la voie aux techniques qui permettent à l'homme d'unifier le monde. Et c'est l'apôtre Paul qui, le premier, a proclamé l'égale dignité de tous les humains, sans acception de race, de sexe ou de condition sociale – « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme » (Gal 3, 28). Toute forme de repli identitaire et d'exclusion des autres est de ce fait à rejeter, et la solidarité impose le partage des richesses. Mais la mondialisation ne peut être heureuse qu'en assumant, aux antipodes de toute mainmise totalitaire, la légitime et féconde aspiration au développement des identités existantes. Les Églises cheminent-elles dans cette voie et offrent-elles des lieux où, sans illusion ni tromperie, les peurs liées à ces identités peuvent être apaisées ?

Innover dans la fidélité à l'essentiel

Bien qu'entravé par le système occidental qui lui a assuré sa fulgurante expansion, le message du christianisme est en soi universel et libre par rapport à tous les systèmes sociaux. Il est urgent d'en prendre conscience et d'en tirer les conséquences. La foi ne se conforme à aucun modèle, mais elle a vocation à s'incarner selon les modalités que lui dictent sa créativité face aux circonstances en chaque temps et chaque lieu. L'Église ne peut donc plus, sous le prétexte de sa vocation à annoncer l'évangile, s'imposer de l'extérieur avec la culture qui l'a portée pendant les deux millénaires passés. Attendre que les voies nouvelles soient parfaitement balisées pour éviter tout risque de faux pas revient à se condamner à ne jamais avancer, mais l'évangile exige que la vie l'emporte sur la défense de l'héritage et de l'ordre établi. Il est urgent que les Amériques, l'Afrique, l'Asie et l'Occident sécularisé produisent les théologies inédites qui, pour défendre l'homme des atteintes qui le défigurent, le libèrent des absolutismes usurpant la place de Dieu qui est amour et qui seul est absolu. Et que la parole soit agissante.

Le culte qui a clos le jubilé a rappelé, notamment à la faveur de la prédication du pasteur synodal de la FPMA, les valeurs fondamentales qui doivent présider à la vie des Églises : la fidélité au Christ, le respect qui reconnaît et accueille l'autre, la bienveillance qui introduit au pardon et à l'amour, la créativité donnée par le Créateur. Aucun homme ni aucune communauté n'incarne la perfection, et le partage de notre humanité est l'unique sentier menant vers Dieu.

Jacqueline Kohler

Note


(1) Les quatre questions posées aux intervenants, en italiques dans cet article, se réfèrent au thème de réflexion retenu par la FPMA pour présider à ce jubilé – extrait de la lettre de Paul aux Éphésiens, 14, 11-13. L'analyse proposée ci-dessus met en valeur les points de convergence sans s'attarder sur certaines affirmations qui auraient mérité des précisions – concernant, entre autres, l'importance plus ou moins déterminante de la langue pour le vécu de la foi, les charismes au sein du Mouvement du Réveil « Fifohazana », la notion de guérison par la foi, les rapports entre l'évangélisation et l'humanitaire, ou les structures ecclésiastiques.

 

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